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La forme d’une ville

Le livre de Julien Gracq présente une collection de souvenirs, et d’impressions de l’auteur liés à la ville de Nantes. L’hétéroclite qui compose cette collection, ce sont ses rues, ses boulevards, ses quartiers, ses vues urbaines comme ces paysages intérieurs qui prennent place dans son moi intime. Sous le regard du collectionneur qui porte en lui le sens de ces découvertes, la diversité des paysages décrits s’assemble discrètement. Le cabinet de curiosité affectif de Gracq s’organise selon « le canevas intime de la ville ».


La forme d'une ville

L’écrivain retrace certaines de ses rencontres avec les paysages nantais : promenade organisée par le lycée ou simple vagabondage urbain, peu de temps avant l’écriture du livre... tous les lieux décrits ont imprimé ces situations à la faveur desquelles les rêveries de Gracq se sont développées.

Les différents chapitres sont découpés en fonction des quartiers que l’auteur a traversés à divers moments. L’étoilement urbain tel que la conçoit l’auteur est dessiné à partir de son propre cheminement dans la ville.

La forme d’une ville de Julien Gracq fait en quelque sorte « rêver » à une nouvelle topologie, topologie organisés selon le vécu, la mémoire et la conscience. Selon l’auteur, "il existe nulle coïncidence entre le plan d’une ville dont nous consultons le dépliant et l’image mentale qui surgit à l’appel de son nom, du sédiment dépassé dans la mémoire par nos vagabondages quotidiens. »

C’est souvent sous un régime contraignant, disciplinaire, sous surveillance adulte que Gracq a sillonné pour les premières fois les rues de Nantes. Paradoxalement, ce sont ces contraintes qui ont fini par donner une saveur de liberté à Nantes, comme l’avoue l’auteur. En ne pouvant l’arpenter à sa guise, en étant tenu éloigné de ces trépidations, de son fourmillement, Nantes est apparue au jeune Gracq comme un espace de liberté dont les barrières du lycée l’en tenait séparé.

Par la suite, Gracq a pu retourner à la ville de Nantes, ces promenades prenaient alors le sens de divagations personnelles. L’écriture fondée sur la digression peut suivre le fil des rêveries d’un promeneur hanté par des lieux traversés en d’autres temps.

Quand Gracq propose d’accompagner le lecteur dans Nantes, en suivant des itinéraires égrenés de souvenirs autobiographiques de rêveries, de lectures… par le jeu, donc, des différentes représentations (géographiques, fictives, autobiographiques) qui s’y croisent, s’y entrelacent, l’auteur restitue l’intrication fondamentale du sujet avec l’espace de la ville.

Gracq définit ici un forme narrative propre, à mi-chemin entre l’autobiographie et l’étude topographique de la ville, forme qui inclut ces genres tout en les tenant à l’écart.

La ville de Nantes qui fait l’objet du livre est tronquée et peut opérer des percées hors de son tissu conjonctif , pour visiter d’autres villes, villes habités, villes oniriques, villes livresques qui tapissent le livre, en un entrelacs complexe d’espaces et de temps disjoints.

A la différence d’une autobiographie classique le texte ne se déroule pas chronologiquement. Le temps qui occupe Gracq est un temps modulable, les instants passés qui y sont évoqués prennent en ligne de compte le devenir de Gracq,et l’évolution que celui-ci a fait subir à ses souvenirs.

Les années de la jeunesse de Gracq passé à Nantes ne sont pas révolus, comme si le passé lui-même avait un devenir, S’il continuait à tracer une ligne de temps souterraine : « ce qu’il restait d’inaccompli dans une vie à demi-cloitrée continue à l’arrière-plan de ma vie son cheminement souterrain à la manière de ces rhizomes. « Gracq ne cherche donc pas à faire resurgir un passé perdu. Ce n’est pas sous le signe de la mémoire même involontaire que se place l’écriture de la forme d’une ville. Gracq récuse même l’authenticité de ses souvenirs. »Non pas rencontre d’un passé que je me voudrais mettre à ressusciter a mais plutôt ce que je suis devenu à travers elles (les rues de Nantes) et elles à travers moi ? ».

Le langage dans son unité irréductible traduit alors les impressions, les sensations de Gracq comme sous le signe d’une conscience indivise. C’est l’imagination qui interpénètre les temps, les souvenirs les lieux dans un fondu continuel enchaîné. Elle est la platine qui recouvre chaque description de lieu d’une coloration unique, la pâte spéciale qui peut de temps à autre colmater la perte de mémoire. Elle combine les éléments divers et note les résonances de chaque « événement » urbain.

La ville, ainsi prolongée par les perspectives imaginaires qui la traversent en tous sens, est un champ ouvert et illimité où a germé l’imagination de Gracq, et où l’auteur y puise comme dans une ressource abondante.

La forme d’une ville s’offre ainsi comme le lieu de la genèse poétique Le lieu réel devient un tremplin vers l’imaginaire. A la différence de la plupart de ses autres écrits, romans ou récits, Gracq s’attache à décrire ce moment dans l’expérience, où la réalité bascule ou, plutôt où elle glisse progressivement vers la fiction. Gracq peut donner corps à un paysage lu dans un livre, ou par métamorphisme, montrer le terreau sur lequel le lieu d’un roman écrit prend racine.

En revenant sur ces lieux de la formation de l’imaginaire, l’on voit la prose du monde rejoindre l’univers poétique de l’écrivain. La réalité urbaine devient perméable à la fiction ; C’est que pour Gracq d’une part la fiction prend racine dans la réalité, et que d’autre part, le réel peut être le lieu d’une fascination comparable à celle que l’on éprouve face à une œuvre d’art.

Un paysage littéraire tel que le conçoit Gracq n’a pas seulement un rapport immédiat avec le paysage réel que l’écrivain a pu ou non choisir de décrire.
Il fait miroiter dans le mirage de sa construction des espaces perçus chez le lecteur.

Le paysage réel devient la transposition d’un vers de Rimbaud, ou d’Apollinaire, ou de tels lieux décrits par tel romancier. A l’inverse, le paysage littéraire, peut être associé à un référent idéal et subjectif. Il vient s’interposer entre le moi et la ville. Si ces contours sont flous, il peut alors plus facilement se dérober à une signification et à un référent précis et ainsi investir d’autres lieux. Il a en même temps « la vertu d’être profondément individualisé, c’est-à-dire d’admettre une appropriation singulière. Général, abstrait car détaché d’une situation précise, tout en exprimant une personnalité propre.

Bien souvent c’est l’élan qui porte l’auteur vers un paysage urbain qui nous est décrit. Les énumérations restituent le mouvement de ressac qui s’opère du sujet vers le lieu. Gracq cherche à capturer le trop-plein de perceptions qui l’attache à un quartier... L’écrivain opère ainsi par petite touches suggestives, pour capter l’atmosphère d’un lieu. Dans le kaléidoscope des souvenirs, celui-ci miroite ainsi de milles points qui, épars, finissent par se conjuguer, s’éclairer mutuellement jusqu’à constituer un paysage proprement dit, à la manière des tableaux pointillistes.

C’est en quelque sorte la genèse du paysage qui nous est restitué : la vision se décompose ; elle se dilue dans un souvenir qui englobe la ville entière ; la présence du corps dans la ville clignote, et s’estompe à mesure que le souvenir s’éloigne. Et en même temps, la ville loin de se retrancher, fait aussitôt son apparition dans les détails qui viennent l’incarner.

Gracq explore ainsi cette zone frontière en donnant au corps cette absence même que le temps a déposé sur les choses, il donne forme à sa conscience dans cet éloignement qu’elle a d’elle-même ; grâce à l’exercice de la mémoire et surtout grâce à l’oubli. S’il insiste sur le croisement de devenirs qui s’opère entre le sujet et la ville, c’est que loin de vouloir faire ressurgir un passé, il compte rendre compte de cette distance essentielle qui permet de tenir ensemble la ville et le sujet. Le paysage mental et urbain est à la fois éclaté et unifié par le souvenir.

La vision gracquienne de Nantes sort bien évidemment des chemins battus. L’auteur préfère de loin le mystère que lui offre une rue mal éclairée que la beauté harmonieuse d’un lieu, d’un bâtiment. Il met à l’écart le discours normatif (esthétique ou scientifique) sur la ville Et pour cette raison il déprécie les monuments de la ville, et préfère ces lieux plus discrets, en apparence plus banals et qui contiennent en puissance un secret, qui enveloppent un mystère comme chez les surréalistes et particulier chez Breton dont Gracq était l’ami, ou au contraire il restitue ces lieux plein de charme voués à disparaître.

Julien Gracq n’est rien moins qu’un nostalgique. Tout son mérite est peut-être de laisser couler son expérience de la ville dans un labyrinthe spatio-temporel qui permet au lecteur de flâner dans la « mythologie personnelle » de l’écrivain, au petit bonheur la chance.

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