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Bains douches : Photographies d’un contre-espace

Les bains douches municipaux pourraient apparaître comme des lieux désuets, ou marginaux. Ils accueillent pourtant à Paris près d’un million de visiteurs par an. Texte et photographies à l’appui, Le Zinc revient sur ce « contre-espace » s’ouvrant sur un ailleurs social, spatial et temporel.


Bains douches : Photographies d'un contre-espace

Brève histoire des bains douches : les premiers bains qui ont apparu, au début du XIXe siècle, étaient de véritables établissements de luxe. Véritables instituts de beauté, ils proposaient, après les bains composés et les massages, restaurant, bar, salon de lecture et fumoir.

Les bains douches municipaux parisiens, ces bâtiments de brique rouge, étaient quant à eux l’instrument des politiques de « salubrité publique » de la Ville de Paris. C’est le développement dès 1898 des bains douches dits « de propreté », à travers « l’œuvre parisienne des bains douches à bon marché ».

Dans la première moitié du XXe siècle, la construction de nouveaux bains à Paris répond tant au développement des thèses hygiénistes que de celles du « socialisme municipal ». Ils font l’objet d’un double discours : Ils permettent de contribuer à la « salubrité publique » tout en garantissant une (bien relative) égalité devant l’hygiène et le sport (avec les piscines qui leur sont associés), ceux-ci n’étant plus réservés à une élite mais à l’ensemble de la population.

Ce « socialisme municipal » fait écho au « socialisme utopique », celui des phalanstères. Précurseurs des « grands ensembles » destinés à loger les populations ouvrières, les bains, lavoirs, cuisines et autres installations collectives, ils devaient permettre de garantir aux ouvriers les conditions de confort, de salubrité que la bourgeoisie pouvait s’offrir par l’argent (luminosité des appartements, circulation de l’air, accès à l’eau potable à chaque étage). Dans le plus célèbre des phalanstères, le familistère de Guise, les bains et autres installations collectives étaient complétés par un système de protection sociale, des caisses de secours protégeant contre la maladie, les accidents du travail et une retraite pour les plus de 60 ans.

Il y a encore peu, avant 1970, les salles de bains individuelles étaient encore rares dans la capitale. Les bains-douches municipaux faisaient toujours partie intégrante du quotidien des parisiens. Dès les années 70 l’évolution des modes de vie tend cependant à faire rentrer dans le logement des « fonctions » assurées par les installations collectives (le lavoir, les bains-douches, ou plus récemment encore... le cinéma).

La fréquentation des bains douches décroît à partir des années 70. Ils restent néanmoins encore aujourd’hui assez fréquentés par les parisiens. Ce phénomène ne manque pas de provoquer la surprise (voire l’« inquiétude » pour le Monde). C’est que, les bains-douches apparaissent comme une fracture dans l’univers symbolique urbain du confort moderne - fracture qu’on imaginerait bien volontiers marginale.

Les chiffres démentent pourtant cette idée : pour de nombreux parisiens les bains douches font partie du quotidien. Tous ne sont pas sans domiciles, loin de là. Les statistiques de la Mairie de Paris indiquent que deux tiers d’entre eux n’ont pas de logement, ou encore se comptent parmi les « populations étrangères de passage » [1]. Le tiers restant dispose d’un logement, mais ne disposent pas d’installations individuelles.

Pour la Mairie de Paris, qui les a rendus gratuits en 2000, les bains douches participent désormais moins d’une « démarche préventive de salubrité publique » que du « traitement de l’urgence sociale ». L’« urgence sociale » semble cependant s’être installée sur le long-terme. « Si les histoires de pauvreté sont légions aux bains douches - des factures impayées aux galères de la vie en structure d’accueil ou en chambre de bonne – les lieux n’accueillent pas seulement les exclus. Les profils des nouveaux usagers soulignent la précarisation de la classe moyenne » peut-on lire sur le site de la Mairie [2].

Aux travailleurs pauvres, étudiants, ou précaires - qu’ils disposent ou non d’un logement, les bains douches offrent la possibilité de se livrer au rituel de l’hygiène, et de « donner le change », de se fondre dans la masse urbaine. Ces lieux à la fois marginaux et publics, dans lesquels on entre pour s’adonner à cette sorte de rite de purification, rappellent en certains points ce que Michel Foucault a appelé « hétérotopie ». Ils fonctionnent comme des contre-espaces : un système d’ouverture/fermeture les isole de l’espace environnant, à la fois spatialement et socialement.

Paul Szarkan a été un temps l’un de ces « usagers » des bains. Ayant gardé le souvenir de cette ambiance particulière qui les caractérise, il y revient en tant que photographe. Il nous propose ainsi une série d’images sur les bains douches, prises entre Place des Fêtes, Pyrénées et Gambetta. Et pour le Zinc, il revient sur sa démarche.

* * *


Le ZinC : D’où vous vient ce sujet, les bains douches ?

Paul Szarkan : Au départ, on m’avait proposé un travail sur la ville, l’imagerie urbaine. Et j’ai réalisé qu’une manière intéressante de parler de la ville consistait à s’intéresser à ses « angles morts ». L’expérience que j’avais eue des bains me semblait un bon exemple : parmi ceux qui n’en sont pas les usagers, rares sont les parisiens qui ont connaissance de l’existence des bains publics, et encore moins de leur gratuité. Ces établissements font pourtant partie de la ville, de manière intégrante, et leur fréquentation est en constante augmentation.

Z : Pourtant vos photographies n’évoquent pas la ville en tant que telle.

PS : Oui, la ville brille plutôt par son absence... Lorsqu’on entre dans les bains publics, on passe de la cité violente, bruyante et grise à un lieu ou seuls les bruits d’ablution viennent perturber le silence. La ville est mise entre parenthèse mais elle reste présente, en filigrane. Cette transition n’est pas évidente à mettre en évidence par la photographie. « Faire du sens » en utilisant les surfaces, les matières, les lignes de fuites et l’intégration de personnages... Cela ne suffit sans doute pas à illustrer ce rapport des bains à la ville.

Z : S’agit-il d’une démarche purement esthétique ? Ou bien est-ce une forme de témoignage ?

PS : Le piège serait de tomber dans une représentation misérabiliste des bains. En fait, il suffit d’entrer aux bains pour se défaire de certaines idées reçues : d’emblée, les locaux sont plutôt beaux, spacieux, propres. La présence discrète du personnel contribue à une certaine quiétude. Et puis, l’eau est chaude ! Malgré tout, c’est sûr, on perçoit cette contradiction entre l’intime et le public. Malgré la pudeur des lieux, une forme de violence diffuse qui s’exerce sur les usagers, renvoyés à un statut social inférieur.

Z : Il me semble que l’on perçoit cette violence dans vos images. Et aussi l’attente, le suspens...

PS : Paradoxalement, je dois reconnaître que le « témoignage » que représentent ces photographies m’échappe en partie. Le résultat d’une prise de vue peut s’avérer au-delà ou en-deçà de mon intention, c’est le jeu.

Z : Le résultat d’une prise de vue échapperait donc à la maîtrise du photographe ?

PS : Il y a quelque chose d’important qui se joue dans l’intention du photographe, et qui détermine en grande partie le rendu d’une prise de vue. On peut photographier comme on échange des banalités avec une connaissance - « comment vas-tu ? » - banalités auxquelles il est rare qu’on écoute seulement la réponse. Pour qu’il y ait un véritable dialogue avec le sujet, il faut s’extraire du lieu commun, il faut se livrer, tout cela coûte... il s’agit néanmoins d’un préalable, une démarche nécessaire.

Z : Vous considérez que le photographe « discute » avec le monde qui l’entoure ?

Les véritables discussions sont celles dont on ne sait pas où elles nous mèneront. La photographie peut témoigner à ce titre d’une démarche de rencontre, presque physique, brute, mais cela suppose une certaine disposition d’esprit - une sorte de détachement engagé. Une fois ce décor là posé, celui de l’intention, il y a de la place pour la surprise, la déception ou l’émerveillement.

Texte et propos recueillis par Maria Lascaris, Photographies : Paul Szarkan

Notes

[1Une enquête menée en 2009 par le Bureau des temps de la Marie de Paris a établi les profils et la typologie de 8 bains douches parisiens. Elle a révélé que la population se composait au 3/4 d’hommes. 2/3 des usagers sont sans domicile fixe, SDF de longue date, en majorité de sexe masculin, et populations étrangères de passage, exclusivement des jeunes hommes. On compte également 1/3 de mal logé(e)s sans salle de bains ainsi qu’un très faible nombre de logés avec salle de bains (personnes âgées encourant un risque à se laver seules chez elles). A la direction de la jeunesse et des sports, on précise que « La vocation de cet équipement est devenue forte et les besoins ont changé. Il faut donc s’adapter. Aujourd’hui, quatre bains douches sont équipés de bagageries, comme aux bains douches Charenton ». A proximité de ce bain douche sur deux étages qui compte 47 cabines, une bagagerie permet à des usagers, SDF pour la plupart, de se délester de leurs gros sacs pour une durée plus ou moins longue.

[2L’article n’est à ce jour plus disponible sur le site de la Mairie. Il est toutefois d’en trouver le texte ici : http://zh-hk.facebook.com/topic.php...

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